Être compositeur aujourd’hui
Aujourd’hui — et l’on ne peut que le déplorer — les valeurs du classicisme ne sont plus guère considérées. Il est si fréquent de voir confondu classicisme avec académisme, souci d’être compris avec paresse et convenance. L’art — ou ce que l’on nomme ainsi — est devenu soit purement conceptuel — concept auquel l’art ne peut et ne doit se réduire ni se résoudre —, soit bassement simpliste et que l’on pourrait alors qualifier de vulgaire.
Pas de juste milieu. Point d’équilibre.
Mais écoutons Verdi : « Par souci de la mode, par désir de faire neuf, par affection de savoir, on renie notre art, notre instinct, notre façon de faire ; c’est absurde et stupide ». Car même si Mahler — qui déclarait : « la tradition, c’est la paresse » — nous met justement en garde, ne cherchons pas à faire du neuf, toujours du neuf. Ce neuf venu de nulle part. Ce neuf qui ne nous émeut plus. Et puis du neuf : mais pour quoi faire ?
La caractéristique d’un grand compositeur est d’utiliser de vieilles notes d’une nouvelle manière.
Il est vrai que nous sortons à peine de cette époque, engendrée par Schönberg, où l’un des ses plus durs représentants, Pierre Boulez, écrivait en 1967, dans ses Relevés d’apprenti : « Tout musicien n’ayant jamais senti la nécessité du dodécaphonisme n’est d’aucune utilité ». Si l’on peut admettre que le dodécaphonisme est inévitable, idée exprimé ici par le mot « nécessité » — ce qui, au passage, signifierait que cette étape est loin d’être révolutionnaire puisque dans l’ordre logique des choses ! —, j’affirme que l’artiste n’a pas à être utile : l’artiste est bien, quant à lui et quoi qu’il arrive, nécessaire. Le terme « utilité » montre bien la vision erronée d’un art progressiste. Et j’affirme à nouveau qu’en art, il n’y a point de progrès. Et pour conclure sur le sujet, l’on pourrait formuler que si le dodécaphonisme a pu être utile, l’artiste qui en use n’est pas plus nécessaire que celui qui n’en use pas !
La musique, même dans les pires situations, ne doit pas être pénible à l’oreille. Elle doit au contraire la charmer et la flatter, et ainsi toujours demeurer de la musique.
Une dérive certaine mais hélas courante, est d’analyser l’art tel une science. Certes, comme la science, l’art est basé sur la connaissance et la technique, et, d’une certaine manière, on peut même aller jusqu’à dire qu’il en dépend, qu’il y est contraint. Comme la science, l’art s’entêtera à vouloir toujours élever l’esprit des hommes, à faire de nous des êtres éclairés. Mais l’art reste avant tout la manifestation d’une émotion : celle de la beauté ; une émotion ressentie par un individu, l’artiste, qui crée dans le seul but de la faire ressentir aux autres, le public. Point de science dans tout cela. Et qui veut faire de son art une science, devient tout simplement un artiste sans âme, sans talent, dont l’œuvre se dénue de toute beauté, et qui revêt la blouse d’un savant bien médiocre, fort maladroit et, par conséquent, d’aucune utilité.
Si le scientifique cherche à comprendre l’Univers, l’artiste cherche à nous en montrer sa beauté.
« Amour ! amour ! amour ! voilà l’âme du génie » disait Mozart. Nous ne sommes là, nous les compositeurs, que pour tenter de toucher le cœur et l’esprit de nos semblables. Du grand art accessible à tout être sensé et sensible : tel est le réel défi d’un compositeur en ce début de XXIe siècle...