Fête de la musique ?
Je vous écris pour vous dire ce que j’ai depuis trop longtemps sur le cœur. Ne m’en veuillez pas si je suis tantôt maladroit, tantôt trop direct dans mes propos, et n’oubliez pas que je suis tout simplement sincère.
J’habite à Toulouse, près des bords de Garonne, dans le quartier dit de Saint-Cyprien. Ici, la fête de la musique ressemble à tout sauf à la fête de la musique ! C’est la fête du bruit, de l’alcool, de celui qui aura le son le plus fort... bref, en un mot, de la médiocrité. Ici, la fête de la musique des uns empêche la fête de la musique des autres, et chacun fête « sa » musique dans une espèce de brouhaha angoissant et misérable... Ah ! triste dérive individualiste, quand je rêvais la musique comme promesse de partage.
Je suis moi-même musicien, pianiste, compositeur, et, en ce premier jour d’été, je ne peux même pas me jouer une petite sonate de Mozart ou un petit prélude de Bach au piano. La rue fait bien trop de bruit, et surtout bien plus de bruit que moi. Et je ne peux rivaliser. Même si tous ces gens là dehors ne font rien « ensemble » et ne partagent rien sinon ce bruit, la loi du nombre les rend — du moins pour ce qui est du niveau sonore — bien supérieurs à moi !
Parce que certains ont décidé qu’il fallait sortir platines et enceintes dans la rue, et tout ça pour ne passer en boucle que de vulgaires CD, je ne peux — bien que chez moi ! — fêter mon art en m’adonnant à sa pratique devant ma petite famille, ce qui constituerait pourtant la plus grande preuve d’amour, ultime forme de célébration. À coup de kilowatts et de pulsations industrielles, on me martèle : « Non, non, et non : tu ne joueras pas ce soir ! »
Je regarde donc affligé, le triste spectacle du haut de ma fenêtre : ce n’est plus la fête de la musique, c’est le grand n’importe quoi ! On danse, on crie, on mange, on boit. La rue n’est pas un lieu d’écoute et de spiritualité mais, au contraire, d’agitation et d’excès. D’une certaine manière, on dirait qu’ils y sont presque obligés voire contraints. Cette dictature du « festif », ce besoin ou cette obligation de faire la fête pour sembler être heureux... pour avoir l’air heureux, ou pour le faire croire ? Mais quelle tristesse !
Pour ma part, je suis profondément heureux et n’ai pourtant pas envie de participer à ce genre de fête ; fête qui ici met le plus souvent en avant les égos de chaque individu plutôt que de célébrer ce pourquoi elle était définie : la musique.
Et dire que je suis à peu près certain qu’une grande majorité de gens qui passent ce soir dans ma rue sont antimilitaristes ! Pourquoi dis-je cela ? Albert Einstein nous avait prévenus : « Pour marcher au pas d’une musique militaire, il n’y a pas besoin de cerveau seule la moelle épinière suffit ! ».
Demain matin, à l’aube, à l’heure où certains se coucheront — et où d’autres cuveront ! —, je viendrai caresser les touches de mon piano et me régalerai d’un doux nocturne de Chopin. Quoi de mieux au réveil ? Si je n’ai pas eu le 21 juin pour célébrer la musique, il me restera les trois cent soixante quatre autres jours de l’année pour le faire...
Mais finalement, je ne suis pas à plaindre. Et je ne me plains pas. Je pense simplement à tous ceux, petits et grands, qui n’avaient que cet unique jour pour venir découvrir la musique, et pour venir au plus près d’elle... et qui ne la trouveront pas.